La plupart d’entre vous ont probablement entendu parler de la réaction allergique grave dont Simon-Pierre Canuel a fait l’objet dans un restaurant du Québec. Il s’agit d’une situation difficile pour l’ensemble des personnes concernées, et nous tenons à exprimer notre profonde compassion à M. Canuel. Cet homme a failli perdre la vie après qu’on lui ait servi un plat contenant du saumon, aliment auquel il est allergique. M. Canuel affirme avoir informé le serveur de son allergie avant de commander son repas. Alors qu’Allergies Alimentaires Canada tente de transformer cet événement négatif en campagne positive visant à promouvoir l’éducation et la formation universelles dans l’industrie des services alimentaires, je tenais à aborder un aspect particulier du débat public qu’a suscité l’annonce de la nouvelle.
En tant que directrice générale d’Allergies Alimentaires Canada et mère d’un jeune homme qui a vécu une majeure partie de sa vie avec des allergies alimentaires multiples, j’ai été surprise par certains des commentaires formulés par la communauté touchée par les allergies. Ces commentaires suggéraient que M. Canuel était le principal responsable de sa réaction, puisqu’il avait laissé son EpiPenMD dans sa voiture. Bien que nous recommandions aux personnes ayant des allergies alimentaires de toujours avoir leurs auto-injecteurs à portée de main, nous ne pouvons pas ignorer le fait que des erreurs peuvent se produire – une routine est temporairement chambardée ou, à l’occasion (rare, je l’espère), un auto-injecteur est oublié. Ce genre de situation est survenue dans ma propre famille, et je ne pense pas être la seule. Alors que nombreux étaient ceux qui pointaient M. Canuel du doigt, je me demandais combien d’entre eux s’étaient posé la question suivante : que se serait-il produit si moi ou mon enfant avions été dans cette situation?
Au sein de la communauté, nous parlons souvent du « partage des responsabilités » qui entoure la prise en charge des allergies alimentaires, tout en sachant que le risque zéro n’existe pas. Dans cette optique, il serait important de reconnaître que l’absence d’erreurs est, elle aussi, irréaliste. Voilà pourquoi l’empathie, la compassion et le soutien sont des composantes fondamentales de notre communauté. Nous sommes bien placés pour savoir ce que cela fait de voir ses inquiétudes minimisées ou ignorées. Nous comprenons l’anxiété qu’une personne qui doit composer avec une allergie alimentaire peut ressentir à l’approche d’une nouvelle étape de sa vie. C’est ce qui nous pousse ensemble à lutter pour faire reconnaître nos droits, à promouvoir la modification de certaines politiques et à faire preuve de compassion et de soutien lorsqu’un membre de notre communauté est profondément touché par les allergies alimentaires, y compris par la perte d’un être cher en raison d’une réaction allergique.
J’ai demandé à deux autres mères de me partager leur point de vue sur les événements des dernières semaines. Ces femmes m’ont fourni des réflexions très personnelles nourries par leurs propres expériences. Carla Da Silva habite Montréal et a un jeune fils atteint d’allergies alimentaires multiples. Leah Gallo vit à Hamilton. Sa fille, Maia, est décédée à la suite d’une réaction allergique à l’âge de 12 ans. Leah est mère d’une autre fille aux prises avec des allergies alimentaires. Voici nos histoires.
C’est en apprenant les uns des autres et en discutant de manière respectueuse des façons de travailler ensemble en tant que communauté que nous atteindrons notre but ultime : améliorer la vie des personnes ayant des allergies alimentaires.
Je serais ravie de lire vos témoignages – si vous le souhaitez, écrivez-nous à info@allergiesalimentairescanada.ca.
Laurie Harada, directrice générale
Témoignage : Laurie Harada, Allergies Alimentaires Canada
Mon fils, Julian, maintenant âgé de 22 ans, a reçu un diagnostic d’allergie aux arachides et aux noix tout juste avant de faire son entrée à la prématernelle. Par le temps qu’il commence sa première année au primaire, la liste des allergies de Julian s’était allongée; elle comprenait désormais également les crevettes, les pois chiches, les pois cassés et le soya. Comme bien des parents, nous nous en faisions beaucoup pour lui, tout en essayant de faire de notre mieux pour lui apprendre à se protéger. Dès son jeune âge, Julian a appris qu’il devait avoir un auto-injecteur avec lui; ce dispositif était comme une ceinture, qui était là pour le protéger en cas d’urgence et qu’il devait toujours transporter avec lui.
Je me souviens du jour où Sabrina Shannon est décédée, en septembre 2003, et de la discussion que j’ai eue avec mon fils. Je voulais lui annoncer la nouvelle, avant que d’autres ne lui apprennent. Quand il m’a demandé si Sabrina avait son EpiPenMD avec elle, je lui ai répondu que, malheureusement, elle ne l’avait pas près d’elle cette journée-là. J’ai été étonnée de l’entendre me demander si Sabrina était responsable de la réaction dont elle avait souffert. Je lui ai alors expliqué que quelque chose s’était produit pour provoquer une telle réaction, et que beaucoup d’éléments de l’histoire nous échappaient, mais surtout, je lui ai dit que personne ne devait blâmer Sabrina. Il était effrayant de penser que mon fils, alors âgé de neuf ans, croyait qu’une personne s’exposait aux reproches si elle souffrait d’une réaction grave et qu’elle n’avait pas son auto-injecteur avec elle. Jamais je ne voudrais qu’il se sente coupable s’il se trouvait dans une situation pareille. Plus tard, nous avons appris, pour citer son père Mike, que la réaction de Sabrina était survenue lors d’un « moment d’inattention », puisqu’elle transportait généralement son EpiPenMD avec elle.
Au début, j’avais l’habitude de dire : « Julian a toujours son auto-injecteur avec lui… Il ne sort jamais sans. » Au fil du temps, j’ai appris à éviter les absolus. Julian a déjà oublié son auto-injecteur, tout comme mon mari et moi l’avons fait, quand notre fils était plus jeune. En décembre dernier, en route vers un restaurant pour un souper de famille, Julian s’est rendu compte qu’il avait laissé son auto-injecteur dans la poche de ses jeans au moment d’enfiler ses pantalons plus habillés. Une erreur simple. Heureusement, une pharmacie se trouvait à proximité, et Julian a été en mesure de se procurer un nouveau dispositif. Notre règle familiale était : pas d’EpiPenMD, pas de nourriture.
Or, si ce n’avait pas été le cas, et que Julian avait souffert d’une réaction à un aliment, pour ensuite se rendre compte que son auto-injecteur était à la maison, et non dans sa poche. Devrait-on le blâmer? J’aimerais croire que les autres feraient preuve de compassion, reconnaissant que l’erreur humaine, et non l’imprudence, était à la base de cet oubli isolé. Et puis, si je regarde les choses dans leur ensemble, mon fils transporte son auto-injecteur avec lui presque 100 % du temps.
Au fil des années, j’ai appris à ne pas être prompte à juger les autres lorsque j’entends parler d’incidents évités de justesse dus à des réactions allergiques. J’essaie plutôt de poser les questions suivantes : que s’est-il passé? Quelles leçons pouvons-nous tirer de cette situation?
Témoignage : Carla Da Silva, consultante auprès d’Allergies Alimentaires Canada basée au Québec
Mon premier contact avec le monde des allergies alimentaires s’est produit lorsque mon fils, Christian, a souffert de sa première réaction anaphylactique à l’âge de six mois. Grandir avec six allergies alimentaires n’a jamais été un frein pour Christian. Il est un garçon énergique qui adore le sport et qui profite de chaque instant, comme seuls les enfants de huit ans savent le faire. En tant que parent, je dois faire face à un défi unique. Je dois désormais élever un garçon allergique aux produits laitiers, aux œufs, au blé, aux arachides, aux noix, aux mollusques et aux crustacés, afin qu’il réussisse dans un monde où les allergènes auxquels il est sensible sont partout, dans tout. Je dois apprendre à mon fils à vivre sa vie aussi normalement que possible, en faisant preuve de prudence et de vigilance, sans toutefois craindre les nouvelles expériences. Qu’est-ce que les garçons de huit ans comprennent de la prudence et de la vigilance, me direz-vous?
J’ai appris à Christian à suivre certaines règles simples : sois attentif, pas craintif; partage tes jouets, pas tes repas; pas d’EpiPenMD, pas de nourriture. Je lui enseigne également à se frayer un chemin dans le monde qui l’entoure – à l’école, lors des fêtes d’anniversaire, au restaurant, en vacances. Ce sont des endroits que tous les enfants de son âge fréquentent, des expériences qu’ils vivent tous. Mon fils, à quelques détails près qui visent à assurer sa sécurité, devrait aussi être en mesure de le faire.
La conversation la plus difficile que le parent d’un enfant qui transporte un auto-injecteur quotidiennement s’est imposée le jour où Christian a finalement compris que les allergies pouvaient être fatales. Comment expliquer à un enfant, alors âgé de six ans, que l’ingestion accidentelle de n’importe lequel de ses allergènes pourrait provoquer son décès?
Ces jours-ci, je dois lui expliquer pourquoi il entend, aux nouvelles, que les personnes qui ont des allergies ne devraient pas manger au restaurant. « Pourquoi pas? », me demande-t-il. « C’est amusant de manger au restaurant », me rappelle-t-il. Il ne comprend pas vraiment pourquoi il s’agit d’un enjeu de si grand intérêt. Pour lui, l’équation est simple : il n’a qu’à informer le serveur de ses allergies, ce qu’il fait depuis l’âge de quatre ans, parfois avec un peu d’aide de son bracelet, puisque la liste est longue. Les employés des services alimentaires sont généralement impressionnés par ce petit garçon qui énumère assidûment ses allergies, en prenant soin de faire une pause pour leur permettre de tout prendre en note. Son père et moi intervenons pour discuter avec le serveur des ingrédients et du protocole à suivre en cuisine pour éviter la contamination croisée. Nous retenons ensuite notre souffle, le regardant prendre la première bouchée d’un plat dont nous n’avons pas supervisé la préparation. Dans l’ensemble, nos expériences ont été positives. Les serveurs sont serviables, sont sympathiques et nous fournissent les renseignements dont nous avons besoin pour faire des choix sécuritaires afin que Christian puisse également profiter de son expérience.
Je sais que personne ne souhaite porter préjudice à autrui et que les erreurs commises découlent d’un manque de compréhension des procédures qui doivent être mises en place pour protéger les clients qui ont des allergies. Au lieu d’insister sur le fait que l’épinéphrine n’était pas à portée de la main au moment de la réaction, aidons celles et ceux qui travaillent fort pour que nous puissions profiter d’une soirée de détente au restaurant. Déployons plutôt des efforts afin de fournir aux établissements qui offrent des services alimentaires les outils dont ils ont besoin pour instaurer des procédures et des stratégies visant la préparation de repas sécuritaires pour mon enfant et pour tous les autres atteints d’allergies alimentaires. C’est en offrant de l’éducation et de la formation que nous y arriverons.
Témoignage : Leah Gallo, mère dont la fille est décédée d’une réaction allergique
Ma fille Maia a perdu la vie en 2013. Cause du décès : anaphylaxie. C’est dans l’aire de restauration d’un centre commercial de la région, où elle avait consommé un cornet de crème glacée, que le décès de Maia a été constaté. Je n’étais pas avec elle cette journée-là et, quand j’ai reçu l’appel d’une personne me disant que ma fille était en détresse et que quelqu’un s’était porté à son secours, j’ai tout de suite su qu’elle ne survivrait pas. Mon cœur s’est alors littéralement brisé. En route vers l’hôpital, je m’accrochais au peu d’espoir qu’il me restait, mais, au fond de moi-même, je savais déjà que je venais de perdre ma fille. La pire crainte d’une mère dont l’enfant a des allergies venait de se matérialiser.
Dès l’annonce du décès de Maia, les médias m’ont contactée. Après l’une des premières entrevues que j’ai accordées, le journaliste, une fois la caméra éteinte, m’a demandé si j’envisageais de poursuivre l’établissement alimentaire qui avait servi à ma fille l’aliment qui avait provoqué sa mort. Ma réponse immédiate a été : « Cette idée ne m’a même pas effleuré l’esprit. » J’ai pensé à la personne qui avait servi à Maia son cornet de crème glacée. Pourquoi voudrais-je jeter le blâme sur quelqu’un? Comment cette personne se sentirait-elle? Se savoir ou se sentir responsable du décès de ma fille aurait des répercussions désastreuses sur cette personne. Pourquoi tiendrais-je l’établissement responsable de cet événement, alors que ma fille avait déjà mangé de la crème glacée sans aucun problème auparavant? Est-il possible qu’elle ait développé une allergie aux arachides ou aux noix? Maia n’en mangeait pas puisque sa sœur y était allergique. Nous ne le saurons jamais. Six mois plus tard, on m’a demandé de nouveau si j’envisageais d’intenter une poursuite contre l’établissement alimentaire. Encore une fois, cette idée ne m’était même pas passée par la tête.
Mon point focal était, et continue d’être, la prévention. La manière dont nous pouvons travailler tous ensemble pour éviter que des décès dus à l’anaphylaxie se produisent. Il est nécessaire que les établissements alimentaires reçoivent une formation adéquate en matière de salubrité et de manipulation des aliments et qu’une meilleure communication soit assurée entre les clients atteints d’allergies alimentaires et l’ensemble des membres du personnel. Il est également essentiel que les services alimentaires mettent en place des procédures visant à diminuer la contamination croisée dans leurs établissements et qu’ils possèdent des auto-injecteurs de réserve en cas d’urgence, pour venir en aide aux personnes dont les allergies sont connues ou non. Toutes ces mesures joueront un rôle important dans la prévention de réactions graves ou de décès.
Je ne veux pas lire que des réactions allergiques ou des décès liés à l’anaphylaxie sont survenus en raison d’un manque de connaissances ou de formation. Je veux lire au sujet des initiatives positives que les personnes et les collectivités lancent pour promouvoir la conscientisation. Je veux lire que des établissements alimentaires, conscients du fait que le nombre de cas d’allergies augmente, prennent des mesures adéquates pour s’assurer de pouvoir servir tous leurs clients de manière sécuritaire, et ce, qu’ils aient des allergies ou non.
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